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La maltraitance Infantile: le cas des talibés

Kaolack, Sénégal. Un jeune garçon de 7ans attire l'attention d'un groupe de femmes dans une ruelle. Grimaçant de douleur et apeuré, il se déplace en boitant. Quand elles vont à sa rencontre, elles découvrent avec effroi que l'enfant a été victime de graves sévices. Son corps est recouvert de plaies: sa cuisse gauche est enflée, son dos présente des lésions et son ventre des blessures ouvertes. Modou, jeune talibé ( élève ou disciple en école coranique) leur confesse avoir été violemment battu par le maître et l'adjoint de son daara (école coranique) pour avoir oser utiliser l'équivalent de 0,15centimes d'euros afin de s'acheter un goûter pendant sa journée habituelle de mendicité. L'enfant est conduit à l’hôpital pour trois semaines d'hospitalisation. . 
Saint Louis, Sénégal, un talibé de huit ans, Silèye, est torturé et séquestré pendant des jours dans un local par son maître. Il est fouetté jusqu'au sang à coups de chicotte, fameuse lanière en cuir, et enfermé pendant 72 heures dans un cagibi sans boire ni manger. Il parvient à s'échapper et à obtenir de l'aide. L'enfant est conduit à l'hopital pour trois semaines d'hospitalisation.
Le jeune Modo, Talibé victime de sévices.
Ces deux cas sont des exemples édifiants de dérives courantes dans les châtiments corporels infligés aux enfants et notamment aux talibés en écoles coraniques. Si ces affaires ont été médiatisées et sanctionnées par la justice, de nombreux cas de maltraitance infantile restent anonymes. 
Un grand nombre d'enfants en pays musulmans ou à majorité musulmane sont confiés par leurs parents à des maîtres coraniques ou marabouts pour un apprentissage des bases de l'islam et notamment des versets coraniques. Si beaucoup espèrent faire acquérir de solides connaissances religieuses à leurs enfants en amont ou en parallèle de la scolarité en école publique, une grande partie les abandonne au bon vouloir et à la merci des marabouts qui les exploitent. En effet, ils obligent les enfants à mendier sous prétexte de ne pas recevoir l'argent nécessaire pour subvenir aux besoins quotidiens en nourriture et fournitures divers destinées enfants.

Un talibé sur  le lieu de toutes ses misères: la rue.
Au nom d'une éducation religieuse basée sur des exigences strictes, beaucoup de parents  taisent ces sévices comme par démission. Pour Babacar Samb, directeur du département arabe de la faculté des lettres de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar interrogé par Rfi «ces pratiques (sévices et tortures) n’ont rien à voir avec la religion, encore moins à l’éducation coranique. Ce sont des comportements humains des marabouts. La religion dit que l’enfant, pour apprendre le coran doit «être humble vis-à-vis du coran qu’il apprend. Poli vis-à-vis de son marabout et, celui-ci, doit l’aider à acquérir cette humilité»
Hélas la plupart des marabouts ont une tout autre interprétation du parcours qui doit mener ces enfants à l'humilité.

La question des châtiments corporels à l'école ou dans le cadre familial reste encore très sensible. Ses plus fervents défenseurs louent sa nécessité, son utilité et son efficacité tout en alléguant des raisons culturelles, traditionnelles ou religieuses. Ils s'opposent farouchement à toute ingérence étrangère dans ce qui semble être à leurs yeux une affaire privée ou propre à une autorité qu'elle soit d'ordre parentale, tutélaire ou scolaire.

Aucune intention de remettre au goût du jour le sempiternel débat sur l'interdiction, ou non, de la fessée éducative. Il ne s'agit pas de la petite tape ou petite fessée parentale. Il est ici question de pointer du doigt le cas des violences graves et sévices infligées aux enfants qu'aucunes justifications ne sauraient soutenir. Et surtout les conséquences de ces méthodes disciplinaires sévères. Plus largement, il s'agit d'aborder la problèmatique des châtiments corporels pouvant entraîner de lourdes séquelles aussi bien physiques que morales.

Les châtiments corporels comme moyen d'éducation

Des sévices corporels à l'humiliation en passant par les agressions verbales, le dénigrement et tout autre acte dégradant, beaucoup d'enfants expérimentent trop tôt la misère humaine. Ceci autant dans les écoles coraniques que les écoles privées catholiques ou publiques en passant par le toit familial, la rue ou les établissements spécialisés (orphelinats). La maltraitance infantile prend plusieurs formes et touchent différents milieux socioculturels.
 Par-ailleurs, le trop plein de non-dits participe à l'étouffement de ce problème de société. Les principales victimes se terrent souvent dans un silence qu'elles croient salvateur. Les statistiques sur la question ne dévoilent qu'un infime fragment de l'enfer. Et les familles cachent bien des secrets.
Un groupe de talibés dans leur quotidien: la mendicité


Les talibés sont en première ligne dans la maltraitance infantile. Ils subissent la violence en tout genre: physique, psychologique et parfois à caractère sexuel. Sous la coupe de leur marabout, ils sont systématiquement confrontés aux mauvais traitements pour deux raisons notoires:
- lorsqu'ils ne retiennent pas leurs leçons coraniques 
- lorsqu'ils n'apportent pas la quantité d'aumône exigée en somme d'argent ou en nourriture (riz, sucre ou lait). 
Cette violence prend une forme inhumaine, cruelle et souvent inqualifiable. En outre, il doivent aussi faire face aux multiples agressions dans leur seconde demeure, la rue, notamment les agressions sexuelles (ils sont livrés à eux mêmes à longueur de journée) et aux dangers récurrents (circulation, délinquance, insalubrité etc).

Au Sénégal, 64% des talibés interrogés, pour les besoins d'une étude, avouaient être victimes de sérieux châtiments corporels. Mais de nouveau, c'est l'arbre qui cache la forêt. Les enfants craignent en réalité de parler de leurs mauvais traitements par peur des représailles. 
Un jeune talibé et le fameux pot de tomate
à remplir de pièces de monnaie ou de nourriture
Ils sont en général très jeunes entre 3 et 11 ans et peuvent subir des violences qui s'apparentent à la torture. Personne ne s'en inquiète. Ou très peu de personnes. Ces formes de violences punitives sont comme admises. Et rares sont ceux qui osent défier l'autorité d'un marabout.
Les talibés sont vêtus de haillons, parfois sans chaussures, sous-alimentés et constamment sous pression. Ils sont soumis à un régime de vie strict. S'ils ne ramènent pas la somme d’aumône exigée par le marabout, ils sont battus. Et c'est dès les premières lueurs de l'aube qu'ils doivent accomplir leur mission pour ne revenir qu'à la tombée de la nuit. C'est leur quotidien.
Dans la rue, on finit par s'habituer à leurs déambulations jusqu'à ne plus les voir; ne plus faire attention à leur silhouette frêle, à leur présence ou à leur condition. Ils font partis du paysage. Ils ne vivent plus, ils survivent à leur douleur quotidienne. Et quand il n'y a plus d'espoir, quand leur niveau de tolérance à la maltraitance a atteint son paroxysme, ils prennent la fuite. Seule issue de délivrance.


Selon un article de Scoop de Ziguinchor.com datant de mai 2011, un groupe d'enfants voulant échapper aux mauvais traitements de leur marabout a été interpellé puis recueilli en pleine forêt par des soldats à Badiouré en Casamance (Sénégal). Ils venaient de parcourir 13 Km à pied. Ils furent confiés à un spécialiste en éducation et protection au sous-bureau de l’organisation des nations unies qui s’occupe de l’enfance dans la région de Ziguinchor. "Ils nous ont fait comprendre qu’ils étaient des talibés. Sur les huit, sept étaient originaires de la Guinée-Bissau. Ils voulaient rentrer chez eux. La moyenne d’âge est entre six et sept ans ». Les petits talibés ont fugué après que leurs corps aient enduré la haine et la cruauté de leur marabout. La gendarmerie de Bignona a par la suite ouvert une enquête et pris contact avec les représentants diplomatiques de la Guinée Bissau
Si la fugue devient une option pour les talibés qui désirent retrouver protection auprès de leurs familles, certains finissent par errer dans la rue traumatisés par leur calvaire et résignés à leur sort.
De plus en plus de plaintes sont saisies contre les marabouts fautifs que la justice n'hésite désormais plus à sanctionner par des peines d'emprisonnement et des dommages et intérêts à reverser aux familles des victimes. Cela n'a pas toujours été le cas. Il faut dire que ces marabouts sont culturellement craints. Ils bénéficient d'une sorte d'omerta autour d'eux à cause de leur statut intimidant. Un marabout, c'est sacré et intouchable en son royaume! Ce qui leur permet d'asseoir un pouvoir non négligeable et d'user de pression pour éviter toute interférence dans l'exercice de leur fonction. Par ailleurs, ils justifient leur comportement  en saluant  les bienfaits de cette éducation sévère qu'ils ont eux même reçu et qui pour eux porte ses fruits. Même si pour cela, il faut passer par la douleur et le sang.

La loi de la chicotte

Dans les école publiques ou privée ayant recours aux châtiments corporels, on assiste également à de nombreuses dérives. Dans les détails, elles se traduisent par l'utilisation abusive d'instruments comme la chicotte, le tuyaux d'arrosage raccourci, la règle en fer ou bois, le fouet, la ceinture, les chaussures et n'importe quel objet contondant ou pouvant servir à asséner des coups. Ces méthodes d'éducation correctionnelle entraînent, dans les pires des scénarios, des séquelles physiques sérieuses. Blessures graves, déchirures, ecchymoses, coupures, plaies localisées, lésions, traumatismes crâniens, plaques de cheveux arrachés, entailles, fractures, brûlures, saignements. 
Mais aussi l'installation d'un climat de terreur non propice à l'apprentissage. Humilier, rabaisser, insulter, dénigrer, avilir, faire chanter, ridiculiser, tétaniser, marginaliser, caricaturer, discriminer, terroriser, menacer. Mais encore inviter les camarades à participer à une brimade. 
Un exemple? Châtiment où deux à quatre élèves tiennent les jambes et bras de leur camarade fermement porté et maintenu de bout en bout afin que l'enseignant bourreau puisse lui asséner des coups à volonté sans qu'il puisse s'enfuir. Ou les pousser à choisir la punition à infliger. C'est la photographie du vice poussé à son paroxysme ou l'apprentissage du sadisme. Ceci est d'autant plus alarmant que l'enfance est la période où l'enfant prend ses marques, apprend à se construire et à se forger une personnalité. Tous ces actes nocifs peuvent avoir un impact négatif non négligeable sur son intégrité corporel et son développement physique, affectif, moral, social, intellectuel et scolaire.

Les châtiments corporels ont longtemps existé et existent toujours dans de nombreux pays à travers le monde. "Ont existé" car ils sont aujourd'hui interdits et bannis dans de nombreuses sociétés; "existent" car ils sont toujours autorisés, tolérés ou appliqués malgré leur prohibition dans d'autres sociétés. Les dérapages relevés dans ces punitions constituent le problème majeur à résoudre. En effet, s'il est difficile de faire évoluer les mentalités sur des sujets  aussi sensibles, entreprendre des initiatives pouvant dans un premier temps sensibiliser les adultes sur la question de l'abus de la force et ainsi améliorer la condition infantile, peut mettre en marche un véritable mouvement.

La convention des droits de l’enfant de la Charte Africaine des droits et du bien être de l’enfant et les autres textes internationaux relatifs aux droits de l’homme, attestent clairement que les châtiments corporels sont une violation des droits de l'enfant. Or si l'école, lieu d'apprentissage, de citoyenneté, de socialisation ne respecte pas les droits de l'enfant, qui d'autre pourra le faire? Certains parents ne sont eux-même pas conscients de leurs droits et devoirs et des droits de leurs enfants. Dans ce contexte, qui sera en mesure de les protéger?

(Voire suite)

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