L'Afrique telle qu'elle s'écrit: les manuscrits de Tombouctou.


Longtemps l'histoire de l'Afrique subsaharienne ou Afrique dite noire et précisément celle de l'Afrique sahélienne a été décrite et considérée comme étant globalement de tradition orale ou griotte se transmettant uniquement par voie orale de génération en génération et non de manière écrite. Un beau leurre entretenu par des chercheurs, anthropologues, ethnologues et colons occidentaux et parfois soutenu voire valorisé par des intellectuels africains tels que l'écrivain Amadou Hampaté Bâ pour ne citer que lui. Or si la tradition orale fait partie intégrante de la culture ancienne- et même actuelle- d'Afrique de l'Ouest, cette thèse qui voudrait effacer toute trace de transmissions écrites dans les civilisations africaines noires, fausse la vision que le monde pose sur les africains et leur histoire.


C'était sans compter les nombreux manuscrits découverts à Tombouctou qui temoignent de la mémoire écrite d'une grande partie de l'histoire de l'Afrique noire ancienne. C'est en plein coeur de Tombouctou, dite "ville sainte", "ville mystérieuse", "l'inaccessible", "réfuge pour érudits", située dans l'ancien empire Songhaïe, actuel Mali, aux limites du Sahara et à proximité du fleuve Niger - tant prisée par des explorateurs tels que l'écossais Mungo Parc ou le français René Caillé qui l'ont fantasmé et convoité- que sont précieusement conservées de nombreuses ressources écrites témoignant de l'histoire de l'Afrique noire médiévale. 

Fondée au XIe siècle par les touaregs, la fameuse cité devient dès le XVe siècle un carrefour incontournable de troc mais aussi de commerce entre les peuples du Soudan ancien et les marchands arabes, perses ou berbères mais également de juifs, jouant un rôle important dans la montée de l'or du Soudan vers l'Espagne, et autres voyageurs ou aventuriers chrétiens...et surtout un lieu d'ancrage pour des philosophes musulmans aux ambitions prosélytes. Les esclaves venus du sud (Ghana), l'or, les caravanes de sel, les épices y circulent abondamment. Ce qui démontre l'intense activité commerciale de l'époque.
C'est aussi la période où la plupart des empires d'Afrique sahélienne ne résistent pas à la vague de conversion à l'islam, excepté quelques rares comme celui des Mossi actuel Burkina Faso qui résiste à l'envahisseur et reste pendant longtemps païen et animiste.

Tombouctou devient alors une cité animée et une plateforme de rencontres comprenant plus de 100.000 habitants (largement moins qu'aujourd'hui -30.000) et comptant parmi eux, fait marquant et intéressant...25000 étudiants! Ces derniers se rendaient à la fameuse et prestigieuse université de Sankoré, actuellement reconvertie en mosquée, qui bénéficiait à l'époque d'un rayonnement atteignant le monde arabe.
Environ 100.000 manuscrits écrits principalement en langue arabe, langue élitiste de l'Afrique de l'Ouest de l'époque, avec des adaptations dépendant des origines peulh, haoussa, wolof, dioula, songhaï, soninké ou tamashek des scribes, témoignent de ce trésor patrimonial africain. La plupart retransmettaient les écrits selon une base commune inspirée du maghribi, une écriture arabe particulière qui permettait d'économiser du papier.

Les écrits abordaient des sujets aussi riches et variés que la médecine, la philosophie, l'astronomie, le droit islamique, les sciences coraniques, la littérature, l'optique, la géomancie, la climatologie,  l'histoire du Mali ancien, la théologie, la grammaire.
Abdel Kader Haidara, Directeur de la
Bibliotheque Mamma Haidara de Manuscrits et Documentation de Tombouctou

On découvre par exemple des écrits très anciens datant du XIIIe siècle comme un manuel de droit islamique publié en 1204, et un coran, écrit sur un parchemin en peau de gazelle de la même époque. Ou encore des manuscrits surprenants et interpelants consacrés aux sujets se rapportant à l'intimité, écrits par un auteur du XIVe siècle, Muhamad Tagar al Fullani, ou un autre du XVIIIe siècle aux tendances kamasutresques contenant un chapitre intitulé: 'être patient avec les femmes' (tiens donc!) et un second fournissant des remèdes contre l’impuissance (un mal traversant les époques!). Dans un tout autre registre, on trouve un manuscrit qui représente une charte des droits de l’homme du XVIe siècle. Mais encore des manuscrits abordant des sujets de climatologie et d'astronomie avec des dates précises de crues et décrues du fleuve Niger et même...de tremblements de terres. Fait extraordinaire: on découvrirait qu'une pluie de météorites aurait survolé le Sahara en 1583. Il y a également un document sur l'histoire du Soudan de Mahmoud Kati, datant du XVe siècle intitulé Tarikh el-Sudan qui retracerait la succession des chefs de Tombouctou ou l' 'histoire du chercheur' (Tarikh el Festash) d'Abderahmane E-Saad au XVIIe siècle évoquant le Soudan médièval. De même, des actes juridiques sur la vie des juifs et des aventuriers chrétiens à Tombouctou, des traités de bonne gouvernance, ou des textes sur les méfaits du tabac ont été découverts. Mais aussi des certificats d'affranchissement d'esclaves, des actes de commerces, des testaments, des traités de savoir-vivre, et de pharmacopée variée.

 Tout un savoir didactique et scientifique qui témoigne d'une époque pré-coloniale et d'une grande partie de l'histoire d'Afrique noire et des peuples du sahara. Une histoire longtemps ignorée et dépréciée et jusqu'à présent inconnue. Aujourd'hui, beaucoup de personnalités du monde politique et intellectuel occidental s'obstinent encore à  louer les soi-disants mérites de la colonisation et ses apports soi-disants positifs car sans elle, soutiennent-ils , l'Afrique n'aurait connu ni les joies du système scolaire et universitaire,  ni l'alphabétisation et les lettres, encore moins la modernité et ne serait qu'un continent aux coutumes sauvages coupé du monde. Or ce fragment de l'histoire de l'Afrique contribue à démontrer que bien avant la colonisation (et même sans elle) les africains étaient déjà ouverts à l'apprentissage, à la recherche d'un ailleurs, au métissage culturel, au commerce, sans parler de cette soif de connaissance scientifique, littéraire qui animaient déjà les étudiants et savants de l'époque; Afrique avec une conscience qui d'emblée se souciait fort de la conservation écrite de ces connaissances, de son histoire et de son patrimoine. Preuve écrite qu'il y a eu une vie et même des vies - et quelles vies!- avant l'arrivée des colons blancs, et l'installation de l'esclavage et de la colonisation. Preuve écrite que les africains ne sont pas restés en dehors de l'histoire comme on l'a entendu dans le désormais célèbre discours du président français Sarkozy sur 'l'homme africain'. Preuve écrite qu'on a su se construire une identité qui était d'abord propre à nos cultures ancestrales et traditionnelles mais aussi d'influence arabo-musulmanes de par les brassages culturels et commerciaux de l'époque. Les manuscrits révèlent au monde que l'homme noir africain n'a pas attendu le 'bonjour' des colons occidentaux pour s'instruire, créer une université, l'une des premières au monde,  pour l'animer et construire sa propre histoire, avec ses propres repères. Cela rend à l'Afrique ce qu'on lui a tant volé et renié, sa fierté et son histoire intrinsèque. Et s'inscrit dans le cadre du travail de longue haleine d'historiens et chercheurs tels que Cheikh Anta Diop, ou  l'historien Djibril Tamsir Niane qui ont su très tôt se baser sur les ressources culturelles d'Afrique pour retransmettre sa vraie histoire. Et grâce à des traducteurs africains contemporains, ces documents précieux qui émergent de leurs cachettes permettent aux africains et au monde d'embrasser cette période méconnue ou méprisée de l'histoire de l'Afrique noire.
 Et à ce propos, Cheikh Dan Fodio, érudit du XVIIIe siècle s'inspirant dans ses travaux d'Ahmed Baba (voire plus bas) va  exalter dans ses mémoires "une pensée africaine" qui jusqu'à l'arrivée des colons européens "cultivait" entre autre "l'amour d'un islam ouvert sur l'universel qui se distinguait très nettement de celui qui était observé dans le monde arabo-musulman".

Aujourd'hui, la plupart de ces manuscrits appartiennent à des particuliers, des gardiens de trésor, qui les ont fièrement conservés en héritage familial, chaque génération remettant à la suivante les manuscrits. Longtemps cachés par ces personnes privées, des villageois ou intellectuels, par peur des pillages, ces manuscrits, véritables patrimoines historiques d'une valeur inestimable, n'ont pu être révélé à la face du monde que ces 20 dernières années.  Et malheureusement nombre d'entre eux courent le risque d'être perdus car menacés par l'environnement, le sable, les termites, l'humidité, la sécheresse, la mauvaise conservation des personnes privées mais aussi parfois la vente illégale de ces trésors à des touristes ou des collectionneurs venant de l'étranger. L'ancien président d'Afrique du Sud, Thabo Mbeki, en a fait une priorité pour le NEPAD (Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique) et a pu recueillir la somme nécessaire à la construction d'une bibliothèque à Tombouctou. Cette dernière prend en charge la conservation d'une partie du centre de documentation et de recherche Ahmed Baba (résistant à l'envahisseur marocain, érudit et grand enseignant du droit né en 1556), créé par le gouvernement du Mali à l'initiative de l'unesco et ayant pour mission la protection, la restauration, la numérisation, et la répertorisation des manuscrits trouvés.

La grande question qui se pose est de savoir si l'Afrique et ses partenaires arriveront à épargner ce trésor écrit, mémoire scientifique et historique d'une Afrique lettrée, combative et cultivée, des effets néfastes du temps et de l'environnement.

 Et si les dirigeants africains arrêtaient de se renflouer les poches sur le dos de leurs peuples ou d'investir dans l'achat d'armes de guerre et de château en France ou en Espagne, de tremper dans la corruption, et de financer les campagnes présidentielles européennes pour, entre autre action, subventionner ou rechercher les moyens légaux de contribuer à la préservation du si précieux patrimoine écrit africain....


Affaire à suivre...

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