De Nollywood à Hillywood, de Sembène à Ouedraogo: Clap, moteur, action sur le cinéma africain!


                                                        Un cinéma africain au pluriel
Parler d'un cinéma africain au singulier serait bien réducteur et injurieux, tout comme il serait inexact de parler d'une culture africaine en lieu et place de cultures africaines. Bien qu'il y ait une racine commune entre elles.

Chaque cinéma reflète une identité, donc un pays avec sa culture ou influences culturelles.Vouloir créer des raccourcis simplificateurs qui voudrait que l'Afrique n'enfante que d'un seul et même cinéma reconnaissable, relève purement d'un jugement médiocre. Quand il s'agit de cinéma européen, américains (Nord-Sud) ou asiatique, on note d'emblée la mise en relief d'une pluralité et d'une diversité louées dans leurs descriptions. Descriptions où chaque pays a droit de cité de telle manière qu'il existe au final un condensé de divers cinémas distinguables selon leur provenance territoriale et formant un tout à l'échelle continentale. Un tout hétéroclite où les cinémas se complètent ou s'opposent entre eux tout en constituant la richesse d'une identité cinématographique communautaire.

Toutefois, vu de l'extérieur, le continent dit noir est toujours regardé sous un angle réducteur quelque soit le sujet traité. L’Afrique en deviendrait même un pays. Et dans cette aberration simpliste, les africains parleraient l'africain. On évoquerait même sur la même lancée une danse africaine. Ce qui est une invention d'occidentaux ou de peuples non africains en mal d'exotisme folklorique. Voire même une récupération d'africains ayant trouvé un bon filon en surfant sur une demande. 
Une danse ne peut être considérée sous une optique continentale si ce n'est propre à un peuple spécifique ou une ethnie (Sabax wolof ou Bougarabou diola au Sénégal ), à un territoire ou à un rite sacré (enterrement animiste, cérémonie pour la pluie, circoncision) ou par effet de mode ou mouvement musical (le Coupé décalé de la Côte-d'ivoire est un dérivé du Ndombolo, animation dansante du Congo signifiant "jeté de fesses"). La danse africaine telle qu'elle se vend, univoque et uniforme est une arnaque. Elle s'apparente davantage à une danse d'influence africaine ou à une danse contemporaine d'inspiration africaine puisqu'elle ne fait que reprendre plusieurs mouvements que l'on peut retrouver ça et là dans des danses en Afrique.

Tradidion vs modernité.
Pour en revenir au septième art africain, soit il existe à peine, soit il est perçu comme invariable, unitaire, pauvre, naïf, replié sur lui-même, campagnard, pas assez bankable. Voilà pourquoi le cinéma de n'importe quel PAYS occidental ou asiatique est souvent mis à la même échelle comparative que celui du CONTINENT africain tout entier. A ce titre, on assiste souvent à des comparaisons inégales opposant  par exemple le seul cinéma français au cinéma africain dans son intégralité. Le manque de moyens manifeste de la plupart des cinéastes africains face aux mastodontes des grosses productions occidentales ou asiatiques ne devraient aucunement justifier une homogénéisation inappropriée et restrictive de son cinéma et de l'art et des cultures africaines en général.

Au niveau mondial, les films africains sont mis en quarantaine car méconnus et parfois sous-estimés. Et même quand ils arrivent à avoir bonne presse dans les médias et festivals, ils restent ignorés du grand public et trouvent difficilement acheteurs. Mais pour parler acheteurs ou distributeurs, encore faut-il qu'il y ait une demande sur le marché.

Pourtant, il existe bel et bien des films africains ou un cinéma africain pluriel. Sa multiplicité est indiscutable. Aucune présentation alambiquée, juste un hommage qui se veut juste.
Il s'agit ici de faire une présentation des films et productions d'Afrique dite noire ou subsaharienne. Ceux du Maghreb, bien que faisant parti du continent, ont leur propre identité disons sous-régionale donc considérés comme à part, tandis que la seule Egypte est le plus souvent ralliée à la cinématographie du Proche-Orient comme on peut le lire dans les études spécialisées. 

Dans cette palette de cinémas d'Afrique noire, on peut distinguer trois grandes familles: le cinéma francophone, le cinéma anglophone et le cinéma lusophone. Pourquoi une distinction linguistique d'influence européenne? Tout simplement parce que l’avènement de ces cinémas coïncident avec la marche vers les indépendances autour des années 60 donc après une mutation socio-culturelo-politique due à l'impérialisme.
Manjai Coulibaly dans "La Génèse"
de Cheick Oumar Sissoko
 Ainsi les cinémas africains naissent d'abord d'une prise de conscience politico-historique et d'une pensée militante dans un contexte de révolte sociale. Provoqué par la colonisation puis libéré par l'indépendance, ce courant dans les années 50-70 donne lieu à des discours cinématographiques fiers, nationalistes et politisés parfois surintellectualisés. Les films ont ensuite évolué vers un cinéma social plus en phase avec le public où la tradition affronte, cohabite, chevauche, rivalise, surpasse, tue ou survie à la modernité au sens occidentalisé du terme; c'était la période autour des années 80-90 avec de belles et touchantes histoires africaines réalistes. Enfin, il y a le cinéma d'aujourd'hui, libre, affirmé, débridé et multi-identitaire qui ouvre de larges perspectives notamment avec les nouvelles technologies.



Le recours aux langues européennes dans les films n'empêchent pourtant pas l'utilisation triomphante des langues proprement africaines qui vont contribuer à une meilleure appropriation du cinéma et réappropriation de leur propre histoire par les cinéastes. Parce qu'il faut rappeler que le dessein premier du cinéma africain des débuts était d'atteindre sa première cible, les populations analphabètes, en leur permettant de s'informer d'une manière ludique, dans leur propre langue. Parce que le cinéma africain des débuts avait une dimension politique et militante, comme un instrument de lutte. Parce que l'âme même du cinéma africain des débuts et d'aujourd'hui réside dans sa pluralité inhérente à son environnement. Il relève d'un large éventail de cultures, de peuples, de langues, de références géopolitiques. C'est un cinéma inventif situé entre le génie mais aussi parfois l'amateurisme. C'est un cinéma au pluriel parce que l'Afrique est plurielle.

Extrait du film "La Camera de bois" du sud-africain
Ntshavheni Wa Luruli.
Territorialement parlant, on pourrait identifier un cinéma qui s'articulerait autour des sous-régions. Dans cette logique, les cinémas les plus fleurissants sont ceux d'Afrique du Nord avec des pays comme l'Algérie, le Maroc et la Tunisie prolifiques en films. Le cinéma d'Afrique de l'Ouest avec en première ligne le Sénégal précurseur en la matière et le Nigéria ayant aujourd'hui une industrie fertile nommée Nollywood; mais surtout le Burkina Faso avec son FESPACO -Festival panafricain- également la Côte-d'Ivoire (d'abord populaire pour ses séries), le Niger, le Mali, la Mauritanie offrant tous un cinéma en plein essor.
 Le cinéma d'Afrique centrale (Cameroun et Congo), le cinéma d'Afrique Australe (Afrique du Sud, Angola, Madagascar) même si dans certaines de ces dernières sous-régions, la situation politique instable étouffe son épanouissement; et le cinéma d'Afrique de l'Est avec l'émergence du cinéma rwandais.
Tout comme on vante le cinéma latino avec ses différentes composantes (le cinéma mexicain, le cinéma argentin, le cinéma brésilien, le cinéma chilien etc) on peut vulgariser un cinéma africain en prenant en compte toutes ses identités.

                                                   L'Afrique contée par les africains
Extrait du film "Afrique sur Seine" des sénégalais Vieyra et Sarr.
Le premier long métrage du continent fut tourné en 1955 par le cinéaste sénégalais Paulin Soumanou Vieyra (béninois de naissance) avec Afrique sur Seine  qu'il réalise avec Ousmane Sarr très souvent oublié quand on évoque ce film. Leur Afrique, ils la voudront "sur Seine" car les autorités coloniales de l'époque les empêchèrent de tourner sur leur propre terre. D'où une orientation politico-engagée mais aussi historienne que Paulin Soumanou Vieyra pionnier des cinémas africains donnera à sa filmographie. Jusque là, ce sont les ethnologues, anthropologues, ou reporters explorateurs occidentaux qui  autour des années 20 détenaient l'hégémonie du film en proposant un cinéma colonial. Ils suivaient les africains avec un regard étranger d'où une interprétation travestie. Leur vision était empreinte de mépris, de paternalisme, de caricature, de réduction, de diabolisation, de fascination exacerbée, de dénigrement. Leur public occidental pouvait ainsi dévisager des africains présentés comme des sauvages: un zoo humain mais à la maison! Seuls quelques rares plus tard dans les années 50 tentèrent de retranscrire des films ethnographiques dans le respect des us et coutumes locales en s'élevant parfois contre une manipulation de l'image dans une logique dénonciatrice.
"Moi, un noir" du français Jean Rouch (ethnofiction)
 Jean Rouch avec son oeuvre "Moi, un noir" docufiction (ou ethnofiction dont il est l'inventeur) filme la dureté du quotidien de jeunes nigériens cherchant du travail en Côte-d'Ivoire parmi lesquels Oumarou Ganda, acteur et réalisateur, le tout dans un contexte colonial. Par ailleurs, Oumarou Ganda tourna par la suite dans la langue zarma "Wazzou" en 70 et "Saïtane" en 72 des critiques sociales sur la polygamie ou la rivalité amoureuse sous fond de rivalité des classes avec un style emprunté au conte africain notable dans son dernier film en 80 "L'exilé".
 Cet outrage culturel sera combattu avec l'émergence beaucoup plus tard autour des années 60 d'un cinéma se voulant réparateur et politique. La mission? Rendre aux africains ce qui appartient aux africains et qui jusqu'alors leur avait été confisqué: leur âme identitaire, leur histoire, leurs racines, leurs cultures, leur liberté d'expression, leurs droits à l'information et droits tout courts, ainsi que leur dignité."Ils nous ont filmé comme des animaux. Je fais du cinéma pour nous filmer comme des êtres humains" défia le cinéaste malien Souleymane Cissé. Ce dernier ayant peaufiné une partie de sa formation cinématographique à Moscou en ressort avec une pensée politique renforcée. D'où une volonté de propager un art engagé.
 "Les statues meurent aussi est un documentaire-court métrage français réalisé par Chris Marker et Alain Resnais sorti en 1953. Il fut commandité par la revue panafricaine Présence africaine. Partant de la question « Pourquoi l'art nègre se trouve-t-il au musée de l'Homme alors que l'art grec ou égyptien se trouve au Louvre ? »[1], les deux réalisateurs dénoncent le manque de considération pour l'art africain dans un contexte de colonisation. Le film est censuré en France pendant huit ans en raison de son point de vue anti-colonialiste".

Feu Sembene Ousmane, père du cinéma africain.
Cet art engagé on le retrouve également chez celui qui est considéré comme le père disons biologique des cinémas d'Afrique noire: Sembène Ousmane. A noter qu'il aimait que l'on cite son nom avant som prénom. C'est le premier cinéaste négro-africain à avoir eu l'opportunité historique de tourner en Afrique même. Ancien tirailleur sénégalais, docker pendant 10ans à Marseille dans les années 40, syndicaliste et membre du parti communiste français, militant opposé à la Guerre en Indochine et pour l'indépendance de l'Algérie, cet auteur amoureux de la plume prendra l'initiative de retranscrire ses écrits à l'écran au moment où son pays ainsi que plusieurs autres prendront un à un l'indépendance. Passer du livre à la caméra afin de sensibiliser le plus grand monde aux causes sociales et politiques qui l'habitaient et de dépeindre la vraie Afrique mais aussi la nouvelle Afrique. Un cinéma engagé et enragé donc. 
"Borom Sarret" en1962, qu'on pourrait traduire par le charretier est un court-métrage (22min) qui met en relief la déstabilisation et la misère post-indépendance des africains à travers le récit de la vie d'un charretier, ancien combattant, en lutte avec son nouvel environnement administratif mais aussi économique et traditionnel. Mais c'est en 1966 qu'il tourne son premier long-métrage "La noire de" qui narre la vie tragique d'une jeune sénégalaise qui quitte son pays et suit ses patrons français en France pour travailler comme bonne à tout faire. Seulement son séjour se transforme en cauchemar: désillusion, traitement esclavagiste et violence psychologique jusqu'au drame..
Film de Sembène,"La Noire de".
"Le mandat" en 68, satire socio-économique filmique de l'Afrique contemporaine, remporta le prix de la critique internationale au festival de Venise. Il raconte à quel point l'arrivée d'un mandat financier venant de France va bouleverser la tranquillité d'une famille puis d'un voisinage. 
 En 1977, "Ceddo" pointe du doigt les conflits religieux avec des guerriers animistes ceddos aux prises avec l'invasion musulmane et catholiques. D'ailleurs pour l'anecdote, il fut censuré au Sénégal par le président Leopold Sedar Senghor. La raison officielle évoquée fut la faute d'orthographe du mot Ceddo, qui pour l'homme de lettre à la tête du Sénégal qu'était Senghor, ne devait comporter qu'un seul d. Mais en vérité, il s'agissait d'une anticipation du président destinée à éviter le mécontentement des guides religieux plus particulièrement la susceptibilité des musulmans. Sembène va par la suite aborder la résistance et la lutte menées par les hommes et femmes casamançais pendant la seconde guerre mondiale en réaction au réquisitionnement des denrées par l'armée coloniale et de l'enrollement forcé des villageois sur le front franco-allemand dans "Emitaï: Dieu du tonnerre". Trois ans plus tard, il fut récompensé pour l'ensemble de son oeuvre au Festival International du Film de Moscou.
Film "Emitaï ", Ousmane Sembène.
Avec "Camp de Thiaroye" en 1988, il dénonce un épisode cinglant et sanglant toujours nié et rejeté par la France. Des tirailleurs venus réclamer leur paye, se mutinent face à une hiérarchie française qui les utilise pour mieux les traiter inégalement: privation, racisme, discrimination. S'en suit une punition fatale. Les gradés français ouvrent le feu sur leurs collègues sénégalais. Résultat, une vingtaine de morts. Ce film fut couronné dans la catégorie Grand prix du jury au festival de Venise.
 L'année 91, il filme Guelwaar une fresque socio-religieuse, sur l'inhumation dans un cimetière musulman de Guelwaar un catholique panafricaniste aux discours anti-aides occidentales dérangeants. 

Commentaires

  1. Autre commentaire qui n'est pas "Merci pour ce partage et ce rappel, la mémoire est un devoir.", serait pure insolence de ma part.
    Je me rend compte que tu parles que de choses qui m’intéressent et qui me tiennent a cœur. Avec tact, simplicité et objectivité.
    Laisse moi emprunter a une magnifique chroniqueuse, cette remarque qui colle parfaitement a ton blog et a ta plume: "Ton blog est un délicieux voyage au cœur du lyrisme...à la fois poétique, onirique, acide,...des textes très prenants, emprunts de mystère où les mots sont maniés d'une manière magistrale...sans parler de la sélection iconographique d'une originalité saisissante, toujours en harmonie avec les mots. En quelques mots: j'ai kiffé. :)"

    Bonne continuation.

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  2. Je te remercie cher Amcoolel et pour ces jolis mots et pour le clin d'oeil:-)

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  3. Ton blog est EXCEPTIONEL et crois bien que je pese mes mots. :)

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  4. Un an après mais il n'est jamais trop tard parait-il : Merci beaucoup! C'est très encourageant!

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