Blanchiment: ces femmes obscures qui font peau neuve




En se basant sur les heures sombres (excusez du mot) de l’Afrique à savoir l'esclavage et la colonisation, on ne peut que constater que les répercutions sont à ce jour toujours significatives. Il persiste une certaine souffrance sous la peau noire. Evidemment beaucoup crieront qu'il est temps d'arrêter de rabâcher les mêmes mots et maux sur ce passé douloureux et d'avancer! Mais pour avancer, encore faudrait-il savoir ce qu'on a traversé et comment on l’a traversé. Ce qui est derrière un peuple n’est jamais anodin.
Oui, il y a une réelle souffrance sous la peau noire. Souffrance esthétique car souffrance psychologique mais intériorisée ou banalisée. Les noirs sont souvent les premiers à déprécier leur propre peau ou celle de leur voisin car ils ont hérité de cette manière de penser.

Si beaucoup vivent à merveille dans leur peau obscure, le monde semble définitivement rouler pour la lumière et la clarté qu’évoque la blancheur.


Beyonce se blanchit la peau: info ou intox?

Nombreux sont ceux qui se jettent à corps perdu dans la dépigmentation de la peau.

Africaines, afro-américaines, ou encore asiatiques, arabes. Objectif : toujours paraître moins sombre, embrasser la lumière.

Le modèle est blanc et n’est pas prêt d’être détrôné. Les médias et le show bizz sont ses premiers défenseurs et vulgarisateurs. Voire:


Même les célébrités noires internationales, celles qui viennent du pays d’Obama, l’ont compris. Mieux vaut faire dans le blanc.

La jolie beauté métissée Beyonce avec des origines françaises et indiennes aime t-elle à rappeler à juste raison (tout en proclamant très fort et très haut -say it loud disait James Brown !!- sa blackitude) est l’une des blondes les plus belles de cette planète. Oui le blond se marie à merveille à son teint miel. Pourtant, elle est souvent accusée de se blanchir la peau bien qu’ayant le teint déjà clair . A lire:




L’intéressée n’a pas réagit à ces (graves) accusations qui laissent perplexes (même la peau la plus noire change de nuance selon qu’elle est exposée au soleil ou non et selon les saisons, sans parler de la lumière des projecteurs). Mais peu importe, les soupçons persistent. Et outre son teint, il semblerait que la chanteuse qui est une icône pour beaucoup de femmes noires, soit également la cible de critiques concernant son choix de porter un cheveu blond et lisse. Il faut dire que chaque partie, parole ou sortie de Beyonce est scrutée de toute part. C'est l'une des femmes noires les plus puissantes et les plus en vue. Mais pourquoi la blâmer?

Beyonce et la plupart de ses consœurs vont naturellement vers une apparence occidentalisée, une apparence qui inspire la modernité et qui fait vendre. C'est dans l'ordre des choses. Oui occidental veut dire moderne dans l’entendement de beaucoup. On ne peut pas être profondément africain ou asiatique et se dire moderne. C'est censé être contradictoire!



La forte représentativité médiatique des femmes blondes aux yeux bleus ou en tout cas d'une beauté européanisée (teint clair, cheveux long et lisse) encourage l’autodépréciation par le mimétisme. L’uniformisation du modèle de référence pousse à la marginalisation des autres. Les autres, c’est les gens de l’ombre. Les intouchables pour faire référence à l’Inde et puis les trop-noirs ou pas assez blancs ( ça dépend de l'angle) d’Afrique, des Antilles ou des Amériques.



La dépigmentation de l’esprit

Les sénégalaises sont connues pour leur noirceur atypique bien que toutes ne soient pas foncées (les phénotypes hors toute dangereuse considération ethno-conflictuelles sont à prendre en compte, eh oui tous les africains ne se ressemblent pas). Mais cette jolie caractéristique, à savoir le teint noir doit subir les assauts de l’hydroquinone et de toutes les compositions douteuses des produits pelant la peau de sa mélanine. Et comble de l’ironie, certaines au pays de la Teranga jouent avec les mots concernant la pratique : je ne fais pas de xessal (blanchissement), je fais du leral (léger éclaircissement). Dans tous les cas, il vaut toujours mieux paraître moins noir. Idem un peu partout en Afrique. La dépigmentation est pourtant interdite chez les élèves des cours élémentaire, primaire et secondaire au Sénégal. Mais il y a un fossé entre la loi et ce qui se passe sur le terrain. L’importation des produits éclaircissants en provenance d’Europe, des Etats-Unis, du Nigeria ou du Pakistan est toujours légion.

Au Mali, les pubs pour un teint plus clair sont monnaie-courantes.  Le dictateur, euh président, de la Gambie Yaya Jammeh a interdit l’ utilisation des produits éclaircissants en 1995, l’Afrique du Sud en 1992 . Ces mesures restent hélas inefficaces face aux filières parallèles actives.

En Mauritanie plus le teint d’une femme est proche de la blancheur, plus elle est mise sur un piédestal.  D’ailleurs, les vergetures roses et vertes qui transparaissent sous la peau sont même considérées comme un attrait. Le noir y évoque l’esclave et l’impur.

Au Congo, il n’y pas que les femmes qui se dépigmentent, les hommes aussi à grande échelle.
L’Inde est avec le Nigéria, le pays où la dépigmentation est la plus pratiquée au monde. Pratique qui est un vestige de la colonisation et du principe de caste. Au pays de Gandhi, plus tu es noir, moins tu es socialement bien placé. Le teint blanc évoque la haute société, les riches, la beauté rêvée. Et Bollywood ne fait rien pour changer ce schéma social. Au contraire, il le promeut. Pour avoir une chance d’être retenu à un casting, il faut avoir la couleur du lait. L'actrice indienne Freida Pinto s'est souvent vu rejeté par les directeurs de casting (mode et cinéma) d'après son propre témoignage à cause de son teint pas assez clair et ce malgré sa beauté incontestable. Depuis, L'Oreal l'a récupéré pour mieux...éclaircir son teint sur les campagnes de pub à grand renfort de photoshop...


Vitrine d'une boutique de Dakar remplie de crèmes éclaircissantes
dont beaucoup sont à base d’hydroquinone.
Et le bronzage dans tout ça ?

Evidemment lorsqu’on évoque la dépigmentation, le contre- argument est que les blancs eux sont adeptes du bronzage.

Sauf qu’ils ne le font pas en prenant exemple sur la peau noire, loin d’être une référence. Bronzer n'est pas noircir. C'est aller à la recherche d'un teint doré particulièrement apprécié en Occident. Si de par le passé la peau blanche était symbole de royauté, richesse et beauté (les rois et sujets de la cour allant jusqu'à se saupoudrer la peau de talc comme dans la tradition japonaise, la peau bronzée étant à l'époque associée à celle du laboureur brûlé par le soleil; les muses des grands peintres étaient pales), aujourd’hui le bronzage a fini par porter le même message c'est-à-dire aisance, beauté...Les époques changent. Et le monde moderne du travail a participé à favoriser ce mode de pensée. Revenir des congés avec un teint halé renvoie à l’idée qu’on a les moyens de se payer de bonnes vacances au soleil, sous les cocotiers. C’est aussi signe de jeunesse, vitalité. Esthétiquement, les stars d'Hollywood ont également beaucoup valorisé cette pratique avec le concours des magazines qui ont établi la magnificence du bronzage. Comble de l' ironie, le bronzage et la dépigmentation sont tous les deux à long terme néfastes pour la santé (cancer). Toujours est-il que ce qui est considéré comme bronzé en Occident sera toujours perçu comme clair en Afrique.



Le hip hop bascule du côté lumineux de la force


 Il faut être aveugle pour ne pas remarquer que la culture hip hop aiment les femmes claires qu’elles soient métissées ou latinas. Les beautés ébènes y sont persona non grata.

Et beaucoup de rappeurs le clament haut et fort : ils vénèrent les beautés métissées. Celles qui font exotiques à leur yeux. A l’écran, on voit défiler des naïdes latinas aux longues et lisses chevelures, des métisses aux yeux verts et aux cheveux ondulés, certaines aux traits asiatiques…Allez, avec un peu de chance on verra une noiraude au fond, derrière…mais si regardez bien ! Mais une seule, car il ne faut pas exagérer. Il faut faire rêver ou vendre du rêve. Et encore une fois, une femme au teint bien noir relève plus du cauchemar. En même temps, se pavaner nue dans un clip tout en essuyant des Bitch par-ci, Bitch par-là n’a rien de flatteur.

Mais Lil Wayne, P.Diddy, Kanye West pour ne citer qu'eux n'en n'ont cure, ils avouent librement leur préférence pour des figurantes au teint clair au point de créer des débats houleux au sein de la communauté afro-américaine et de raviver le malaise américain intemporel : darkskin vs lightskin (peau foncée contre peau claire).


Le "colorisme" est le nouveau racisme



Au pays d'Obama, le sujet est très sensible voire obsessionnel.  Tyra Banks a largement évoqué ce problème intracommunautaire dans son célébré show éponyme et un documentaire a été réalisé sur ce même sujet. Les femmes au teint foncé se sentant doublement méprisées et discriminées par rapport à celles qui ont le teint clair jusqu'à évoquer le syndrome de l'esclavage où les femmes très noires étaient dans les champs et les métisses dans les appartements...D'ailleurs aux Etats-unis, on distingue même le "racism" du "colorism", le deuxième faisant allusion à la discrimination basée sur le teint au sein d'une même communauté et à l'extérieur de celle-ci.

Même Colin Powell (ex bras droit-ou gauche- de Bush fils) l’a déclaré : en tant que noir on passe mieux quand on est clair de peau. Autrement, on a plus de chance d’être élu si on fait métis car cela présente mieux. Du noir dilué quoi ! Ah bon ?




La prison discrimine les " trop noirs"



Et pour pousser le vice une étude américaine réalisée sur 12.158 femmes incarcérées en Caroline du Nord entre 1995 et 2009 intitulée The impact of light skin on prison time for black female offenders (L'impact du teint clair sur la peine de prison des femmes noires) publié dans The Social Science Journal a révélé des choses terrifiantes. Dans ce département correctionnel, certaines caractéristiques physiques sont notées pour faciliter l’identification des détenues : couleur des cheveux, des yeux, taille, poids et allure générale.

 Et il y a une nette distinction entre les teints : on accorde au teint clair le code 1 et au teint noir le code…0. L’étude révèle que les filles au teint clair, le code 1, avaient des sentences moins lourdes que celles au teint noir. Le teint clair ou le fait de paraître blanc dans ses caractéristiques physiques serait donc un facteur offrant la possibilité d’une peine moins longue de prison. Pareil du côté des hommes.
Dans la prison de Mandela du temps de l’apartheid, un autre type de classification était éloquent: les rares prisonniers blancs avaient droit à des pantalons, les métisses des pantacourts, les noirs…des shorts. Cela peut paraître absurde ou insignifiant mais c’est à partir de ce genre de détail que le racisme se nourrit. A l’image de la ségrégation dans les bus des états du Sud des Etats-unis dans les années 60: les noirs au fond, les blancs devant. Tous ces schémas ont un impact dans la perception des choses et l’estime de soi. Infantilisez, rabaissez, marginalisez, ignorez un groupe de personnes pendant un laps de temps et des années plus tard le ressentiment reste intact. Et se traduit par l’auto-flagellation.


Une poupée blanche ou rien!




Les enfants d'origine ou de descendance africaine en sont l’exemple le meilleur. Les fillettes noires ont longtemps eu une nette préférence pour les poupées blanches, et les coiffures lisses avec extensions. Comment ne pas tendre vers cela? (voire video ci-dessous)


Lorsque l'industrie du jouet et celui des dessins animés valorisent principalement la princesse blonde et gentille, les enfants assimilent un certain message subliminal ou alors métaphorique. Aujourd’hui, la tendance change car les jouets se diversifient: on voit des poupées avec des traits, cheveux et habillements plus variés; la même chose dans les films d'animations. 

Il est essentiel que les enfants dans leur processus d'appréhension du monde puissent se reconnaître dans des héros et héroïnes exemplaires et surtout prendre conscience de la diversité de la planète.


Avec le recul, la société peut promouvoir ce qu'elle veut, l'important c'est le regard que l'on porte sur soi-même et le développement de l'estime de soi: un enjeux parental, éducatif...




Pour l'heure, force est de constater que noir c’est noir, il n’y pas pas d’espoir, c'est...très clair!

Commentaires

  1. Un article très intéressent et riche. Et j'ai apprécie les jeux de mots.

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  2. J'entends parfois (de la part de certaines filles!) "trouves-toi un bon produit, non pas pour t'éclaircir la peau mais juste pour l'avoir un peu plus éclatant, pour avoir un teint marron quoi!". Heureusement que je ne suis pas facilement influençable, certaines de mes sœurs noires non plus d'ailleurs! A l'opposé, les hommes m'interpellent souvent pour me demander ne pas toucher aux produits éclaircissants et de préserver ma belle noirceur (oui j'avoue que c'est encourageant et c'est aussi bon pour le moral lol!). Bon j'arrête de tout ramener à moi! Tout ça pour dire qu'on doit accepter et valoriser ce que le créateur nous a donné. Super article miss!

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