Féminisme: rencontre avec le sociologue Djiby Diakhaté

Féminisme, égalité, émancipation...des mots qui dérangent encore dans certaines régions africaines. On y perçoit comme un danger: le spectre d’une liberté de la femme qui serait incompatible aux traditions africaines. D'aucuns évoquent même la religion pour se braquer contre ces notions. Des notions que l’on juge trop occidentales. Pour mieux les dépecer, l’Afrikraneuse est allée à la rencontre de l'éminent professeur et sociologue sénégalais Djiby Diakhaté. C’est dans son bureau de l’IAM (Institut Africain de Management) que le professeur nous reçoit pour une interview fleuve.

Djiby Diakhaté, sociologue sénégalais.


«Dans les manuels scolaires, c’est Moussa qui est l’ingénieur et Fatou la ménagère, des représentations identitaires articulées autour du sexe qui confinent la fille, du point de vue de sa représentation mentale, à n’accepter que des rôles secondaires ». Djiby Diakhaté



L'Afrikrâneuse- Au sénégal quant on parle de féminisme, on pense pêle-mêle à des figures comme l’historienne Penda Mbow,  à l’écrivaine Mariama Ba , mais il y a également l’union des femmes sénégalaises avant l’indépendance ; et dans les années 80 le mouvement Yewu yewi pour la libération des femmes avec Marie Angélique Savané. Peut-on évoquer un féminisme sénégalais à proprement dit ou doit-on plutôt parler d’un féminisme au Sénégal ?

Djiby Diakhaté- Je crois qu’il est plutôt préférable de parler de féminisme au Sénégal et non de féminisme sénégalais. En fait, disons que nous avons des sociétés qui étaient traditionnellement patriarcale en ce sens que les hommes avaient plus de privilèges que les femmes en terme d’accés à des instances significatives et de décisions, en terme de responsabilité communautaire, en termes d’accès à des ressources matérielles et économiques mais aussi foncières pour les communautés installées en milieu rural. Les hommes avaient plus de privilèges. On avait l’impression que la femme était essentiellement destinées aux activités domestiques sans pour autant que cela soit dans le but de la dégrader mais c’était ainsi que la société était organisée. Il y avait une division des activités avec des tâches qui confinaient la femme essentiellement aux activités domestiques. Dans certaines contrées, la femme pouvait avoir la possibilité d’exploiter son lopin qui lui était propre, en général un petit lopin. Elle avait la possibilité de faire un type d’élevage domestique, la possibilité de s’adonner à certaines activités génératrices de revenues mais c’était à une échelle plus ou moins réduites. C’était une société patriarcale où l’homme était au centre des instances significatives de décisions.
 Toutefois dans cette société, il y a eu des moments où des femmes se sont signalées. Notamment par leur engagement dans l’espace communautaire et par leur décision à s’impliquer dans le fonctionnement et dans la prise en charge des affaires publiques. On connait le cas historique de Aline Sitoé Diatta de la Casamance (héroïne de la résistance au colonialisme), celui des femmes de Nder (résistantes à l'esclavage) érigées en exemple de bravoure, de vertu, d’attachement à leur dignité. On connait le cas de Djeumbeut Mbodj ( résistante au colonialisme, soeur de la reine du Waalo -ancien empire du Sénégal- Ndaté Yalla à la tête de la première armée à avoir affronté les français), de Yacine Boubou (qui a accepté de se sacrifier (sacrifice humain) pour son royaume), autant de cas qui montre que pendant des périodes bien données, dans des séquences temporelles bien données, des femmes ont fait montre de leur volonté de s’engager dans l’espace publique et de prendre en charge un certain nombre de choses. Cela dit, nous avons d’une part le poids de la tradition, d’autre part les contraintes religieuses. Les religions révélées venues par la suite n’ont fait rien d’autre qu’accorder plus de crédit aux orientations de la tradition, donc à l’orientation patriarcale. Donc de nos jours, même si les femmes à la suite d’un certain nombre d’actions qu’elles ont eu à mener aussi bien au niveau interne qu’au niveau externe ont senti le besoin de peser beaucoup plus dans le fonctionnement des choses publiques, il faut dire qu’il ya des reliques de la tradition, un certain nombre de résistance liées à la religion qui font que les femmes, elles même sont inhibées donc elles ont intériorisées un certain nombre de choses du point de vue de leur éducation qui les mettent en marge des instances de décision. Et quand elles ont la possibilité d’accéder à un haut stade, c’est elle-même qui exprime cette résistance et de la peur: est-ce une bonne chose pour moi que d’en arriver à cette échelle de responsabilité, d’assumer certaines responsabilités au niveau familiale ? Au niveau communautaire ? Donc quelque part, la femme n’est pas socialement et psychologiquement bien préparée pour être au niveau de certaines instances de décisions.

Vous avez mentionné une  certaine résistance, le doute, l’inhibition mais aussi la religion dans des sociétés patriarcales. Face à ces facteurs qui limitent les femmes, qui s’imposent aux femmes, comment les libérer de ces maillons? Comment briser le fameux plafond de verre?

C’est tout un processus. Les changements sociaux ne se font pas de façon brutale.  Ils suivent un processus assez lent, assez complexe, mais ils finissent toujours par se réaliser. Déjà, le fait d’en arriver à un niveau de scolarisation des filles assez élevé au niveau de l’élémentaire constitue une porte d’entrée importante, le fait que les filles restent de plus en plus longtemps à l’école, qu’on ait lutté contre certaine pratique tel que le mariage précoce et l’excision, permet aux filles de rester plus longtemps à l’école avec un niveau de scolarité consistant et d’en sortir avec un niveau de qualification satisfaisant leur permettant de se déployer à des niveaux de responsabilité élevé. C’est tout un processus qui commence au niveau de la famille. Parce que c’est dés ce niveau que la stigmatisation et les stéréotypes se développent. La mère africaine dit à sa fille que quelque soit le type d’étude ou de scolarité qu’elle aura, sa mission première est d’abord d’être une mère de famille et de rester  à la maison.

 Est-ce à dire que la famille et l’éducation reposeraient implicitement sur le genre : la fille devant suivre un certain modèle, le garçon de même, et dans ce schéma social, la nature déterminerait les tâches allouées à chacun?

Effectivement et c’est d’autant plus flagrant dans les manuels scolaires, le plus souvent dans les textes de lecture, d’orthographe auxquels les enfants sont initiés dés le bas âge c’est Moussa qui est l’ingénieur, c’est Moussa le menuisier, Salif le procureur quant Fatou est la ménagère, et Ami va au marché. Donc vous avez ici des sortes de représentations identitaires articulées autour du sexe qui confinent la fille du point de vue de sa représentation mentale à n’accepter que des rôles secondaires.

Justement en parlant de formatage éducationnel et scolaire, les études sociologiques montrent nettement que les femmes sont généralement dirigées vers les sciences sociales et humaines, les hommes vers les sciences économiques et en droit .

Oui car dès le bas âge, la fille aura tendance à intérioriser le principe qu’elle ne peut pas être autre chose qu’une secrétaire. Pour elle c’est déjà bien si elle est secrétaire ou caissière et accepte que le donneur d’ordres soit un homme. Cette intériorisation de ce schéma formate le psychisme de l’individu et l’oriente vers certaines activités professionnelles qui l’inclinent vers une situation de dépendance par rapport à l’homme. C’est toute une armature sociale, tout un dispositif psychologique qui s’installe au niveau social et qui commence très tôt au sein de la famille et qui finalement donne peu de chance à la fille, tant et si bien que certaine femme qui en arrive au niveau très élevé de responsabilité sont perçues comme des cas particuliers, suscitant l’attention des gens car inhabituel. On parle de Penda Mbow (historienne et militante sénégalaise, ancien ministre) avec  force admiration et stupéfaction comme si son parcours ne devait pas se réaliser comme tel,  quand on parle de Amsatou Sow sidibé (universitaire et femme politique), c’est avec stupéfaction, quand on parle de mon ami Marie Angélique Savané (militante politique, féministe sénégalaise), on a l’impression que la société se dit que le rôle de la femme n’est pas d’en arriver à ce niveau là où on prend des décisions mais plutôt de se contenter finalement d’être à la périphérie. 

« Dans nos sociétés actuelles, ceux qui ont sont, ceux qui n’ont pas ne sont pas, ceux qui donnent ordonnent, et ceux à qui on donne se subordonne. Cela signifie que si la femme est dans une situation économique faible, elle est obligée d’être demanderesse de ressource, donc va être dans une situation de dépendance. Et dépendre de, c’est être soumis».

Qu’est ce qui pourrait faire bousculer cet état des choses?

Tout le monde peut participer au changement. Il faut une approche systémique. C’est une approche qui intègre plusieurs facteurs. Il y a le facteur familial, il faut qu’à ce niveau un travail se fasse, en terme de préparation. Mon ami Serigne Mor MBaye parle beaucoup de l’éducation des parents, faire en sorte que les parents se rendent compte qu’il ne faut pas dès le bas âge inhiber la jeune fille, ni la limiter en lui faisant croire qu’elle ne peut pas arriver à un niveau d’étude élevé. Un réel travail doit se faire au niveau de la façon de faire des parents.
Le facteur économique : les femmes doivent avoir accès a plus de propriétés et ressources car en réalité nous sommes dans des sociétés qui deviennent de plus en plus matérialistes et individuelles, où l’avoir l’emporte sur l’être. Dans nos sociétés actuelles, ceux qui ont sont, ceux qui n’ont pas ne sont pas, ceux qui donnent ordonnent, et ceux à qui on donne se subordonne. Cela signifie que si la femme est dans une situation économique faible, elle est obligée d’être demanderesse de ressource, donc va être dans une situation de dépendance. Et dépendre de, c’est être soumis.
Il faudrait une réelle force économique, plus grande pour les femmes, qu’au niveau rural, les femmes aient accès à la propriété foncière. Dans une plus grande échelle, qu’elles aient accès à du matériel qui leur permettent d’aller pêcher, de vendre. Il faut que les femmes aient plus de liberté dans le sens noble du terme, qui leur permette d’entreprendre, d’avoir l’esprit d’initiative et qui leur permette de s’affirmer sur le plan économique. Donc il faut ce travail au niveau économique.
Au plan politique, les leaders politiques doivent comprendre que le rôle de la femme n’est pas d’amuser la galerie. Elles n’occupent pas une fonction folklorique ou cosmétique de remplissage d’espace vide. La femme peut jouer un rôle important mais ça suppose que la femme soit bien préparée sur la plan académique, mais aussi sur le plan du comportement de la conduite. C’est un accompagnement en leadership, en coaching, qui permet à la femme de se dire qu’il est possible d’en arriver à certains niveaux de décision et non d’être en marge.

Sur plan environnemental, nous sommes envahis par des stéréotypes d’autant plus frappant que lorsque l’on jette un œil sur les panneaux publicitaires dans les rues de Dakar, les femmes sont toujours choisies pour les insertions culinaires, la lessive, la vaisselle, la beauté et les hommes pour la téléphonie, la technologie, la finance. Ces stéréotypes ne contribuent-ils pas à nourrir les mentalités de manière subliminales ?

Si, tout à fait. Les types de stigmatisations et de stéréotypes que la société développe parfois sans s’en rendre compte ne sont pas anodins. Un autre exemple : lorsque l’on parle de secrétaire, c’est forcément une femme au point où les hommes eux-mêmes cultivent un certains nombre de complexe par rapport à certains métiers comme s'il y avait des métiers exclusivement et congénitalement réservés aux femmes et d’autres aux hommes.

En parlant de genre, au Maghreb une nouvelle mouvance féministe musulmane essaie de débroussailler les textes religieux notamment dans leur interprétation longtemps accaparées par les hommes à qui les femmes reprochent une transmission masculine non objective et même machiste de la religion. Religion qui est souvent confondue avec tradition. Qu’en est t-il de la question de l’égalité homme-femme si on se réfère exclusivement à la religion qui est un pilier dans nos sociétés africaines? La religion fait –elle état d’une égalité ou doit-on parler d’équité?

La notion d’équité est plus juste. La religion considère qu’il ya certain nombre de privilèges qu’il faut accorder à l’homme et d’autres à la femme. Les privilèges accordés a l’homme ne signifient nullement que ce dernier doit de façon arbitraire exercer son autorité aussi bien au niveau familial  ou communautaire. Autrement dit si l’homme est investi d’un certain nombre de responsabilités et de privilèges, il doit pouvoir les exercer avec intelligence et équité. D’ailleurs dans la religion, la femme doit être la plus épanouie possible. Dieu dit dans toutes les religions révélées que les personnes les plus proches de lui sont les plus croyantes. Donc vous voyez que le plus décisif c’est la croyance. Dans le verset 34 de la sourate « An- Nisâ, les femmes », Dieu dit les femmes vertueuses sont obéissantes à leur mari et protègent ce qui doit être protégé pendant l’absence de leur époux tout en ajoutant que le privilège qui a été accordé à l’homme doit être assorti d’un certain nombre de conditions. Ce qui signifie qu’il n’y a pas de privilèges absolus, tout est relatif a un type de comportement à adopter. Les privilèges de l’homme doivent être exercés dans le respect strict de la dignité de la femme et de son épanouissement. Ce qui montre encore une fois que la religion pose la question de l’équité.
Dans la bible notamment dans la genèse lorsque Adam et Eve ont gouté au fruit de la connaissance, ils ont tous deux été sanctionnés par Dieu. Dieu a sanctionné Eve en lui disant qu’elle enfanterait dans la souffrance et à Adam que c’est à la sueur de son front qu’il assurerait sa survie jusqu’à son retour à la poussière de laquelle il fut créé.
Et dans le deuxième épître aux Thessaloniciens du nouveau testament Saint Paul dit que ceux qui ne travaille pas, ne mangent. Il ne s’agit pas que des hommes, il s’adresse à tout le monde, homme comme femme. Tout le monde doit travailler.
Contrairement à ce que beaucoup pense, l’homme n’a  pas plus de privilèges que la femme dans la religion mais plus de fardeaux, de responsabilités. Et la femme n’est pas exclue. Pour la religion musulmane le modèle et la référence est le prophète (PSL) qui durant toute sa vie a montré son ouverture à la femme, sa disposition à l’écouter et  même à prendre des décisions sous le conseil de ses femmes. Il s’entendait à merveille avec elles et prenait plaisir à se divertir en leur compagnie par le biais de jeux de courses par exemple. Il (PSL) était très proches d’elles, très attentif, attentionné, un mari modèle.
Mais aujourd’hui, il y a, vous avez raison, une interprétation fallacieuse et tendancieuse de certaines dispositions de la religion ayant pour ambition d’accorder un privilège fou à l’homme et d’écraser la femme. Des représentations développées car il y va de l’intérêt des hommes.
C’est ce que Michel Crozier appelle le « jeu des acteurs », dans une communauté les acteurs jouent et chacun cherche à tirer son épingle du jeux, ce que font les hommes en essayant coûte que coûte de préserver leur privilège mais les femmes l’ont compris et s’organisent en conséquence.

Restons sur cette notion d’égalité. En Tunisie, un projet de loi voulait changer le mot égalité figurant dans la constitution en complémentarité. Les hommes et les femmes passant d’égaux à complémentaires. Cela a provoqué un tollé chez les femmes qui ont tout de suite lancé des manifestations. Pourquoi le mot « égalité » pose t-il tant problème et est-il si difficile à digérer ? Pourquoi jouer sur les mots égalité, complémentarité, équité alors que les principales revendications des femmes sont d’obtenir les mêmes chances que les hommes, d’exiger le respect de leurs droits. N’y a-t-il pas là des détours visant à ériger des obstacles?

Tous les mots sont équivoques. Quand on parle d’égalité, il faut expliquer ce qu’on entend par là. On ne peut pas par exemple parler d’égalité physique par contre sur d’autres aspects on peut parler d’égalité : égalité de chance, égalité à la formation et j’en passe. Et dans certains cas, la femme peut être largement supérieure à l’homme.
Les mots sont remplis d’équivocité et en matière juridique il faut être le plus précis et explicite possible dans l’utilisation des mots et notions. Si par égalité on entend égalité de chance, de condition, de traitement, égalité devant la loi, personne n’aura d’objections à apporter. Par contre, si on entend par égalité, une égalité de type scientifique ce n’est pas possible parce que les identités des uns et des autres ne sont pas les mêmes.

L’homme a-t-il peur de la femme ?

(Rires) ….Je crois qu’il éprouve un besoin de conserver un certain statut. L’homme est conservateur par excellence. Quand on s’octroie un certain nombre de privilèges, on se bat pour les conserver. Quand on est éduqué sur la base d’une certaine matrice normative, on devient misonéiste, on a peur du changement. Il existe un conservatisme béat chez certains hommes, certaines communautés, où la percée des femmes est vue comme la perte des hommes, l’avènement de catastrophes pour la communauté. On va jusqu’à évoquer des considérations surnaturelles : le manque de pluie, les inondations seraient ainsi dû aux nouveaux privilèges accordés aux femmes. Il faut savoir raison garder.

Comparaison n’est pas raison, mais force est de constater que dans nos sociétés africaines modernes, la femme a encore du chemin à faire.  Il existe un réel fossé par-rapport aux pays riches. Les occidentaux semblent avoir une longueur d’avance concernant la place accordée à la femme dans la société ou en tout cas celle qu’elle a gagné au fur et à mesure grâce à son combat, sa persévérance ou même à son acharnement.

Il faut dire que beaucoup de pays africains traversent des crises ou des situations compliquées faisant que les femmes sont soumises à des formes d’humiliation, d’exactions etc. Des situations de guerre où les femmes sont victimes de viol, d’agressions. Des situations d’instabilité politique et sociale qui les diminuent moralement. A côté de cela, de plus en plus de pays africains se démarquent, des efforts sont notés et je pense que c’est la marche actuelle du monde. A savoir une prise de conscience forte des femmes au niveau international. Je pense à la conférence de Copenhague, du Caire, de Belgique, de San Franscico etc qui aboutissent à la conclusion que la femme doit s’affirmer de plus en plus au niveau de la société 
et accéder au même titre que l’homme aux instances de décision. Ces dispositions internationales font l’objet d’une appropriation au niveau continental et national. Des groupements de femmes se battent pour changer les mentalités. Ce n’est pas une oeuvre facile parce qu’il y aura beaucoup d’embûches, d’obstacles, mais avec la détermination des femmes, et l’attachement à l’équité, à la vérité et à la justice, on pourra assister à une émancipation des femmes de plus en plus forte.

Une émancipation lente mais sûre qui a permis aujourd’hui d’avoir une première femme africaine présidente au Libéria mais également de voir de plus en plus de femmes se décomplexer quant à certains métiers : on a aujourd’hui en Afrique des femmes policières, des femmes mécaniciennes, des femmes pompistes, des femmes vendeuses ambulantes, des métiers qui jusque là étaient réservés aux hommes. Quel a été le déclic à votre avis ? Comment les femmes africaines sont-elles parvenues à passer de l’autre coté ?

Mis à part le combat des féministes et politiciennes évoqué c’est la crise économique! L’homme n’a plus les possibilités à lui seul de prendre en charge tous les besoins de la famille.  Donc il est obligé d’avoir recours à l’aide de la femme qui se rend compte que de ce point de vue, elle peut aussi jouer un rôle. Par exemple en France, pendant les deux guerres mondiales, les hommes étaient tous au front et ce sont les femmes qui travaillaient dans les usines. Ca leur a permis de réaliser qu’elles pouvaient effectuer les mêmes tâches que les hommes alors que ces derniers s’obstinaient à leur faire croire qu’il s’agissait de travail exclusivement masculin. Les femmes ont de plus en plus accès à l’école et dament même le pion à leurs camarades masculins avec de meilleurs résultats scolaires. Comme je le disais tantôt un mouvement irréversible est entrain de se dessiner. Les femmes doivent faire un travail sur elles-mêmes, car il y a encore des obstacles. Il ya dans certaines zones notamment rurales un fort taux d’illettrisme, d’analphabétisme. Le poids des traditions pèsent encore.. Les ONG et groupements sont là pour travailler à l’évolution des mentalités. Je pense qu’on en arrivera à un point où on votera pour une personne non en fonction de son sexe mais de ses compétences.

A l’échelle internationale, les préoccupations des femmes bien que pouvant être similaires sur les grandes questions de parité ou de respect des droits humains, recouvrent selon les régions, certaines spécificités. Ainsi le cheval de bataille des militantes africaines sont les dérives coutumières notamment l’excision, une pratique perpétuée malgré les lois qui l’interdisent dans de nombreux pays africains. Doit-on encore y voir la main invisible de l’homme sur la femme ou y a t-il d’autres explications qui justifieraient le maintien de cette pratique?

L’excision a plutôt des fondements métaphysiques, surnaturels. Dans la mythologie Dogon étudiées par Griaule et Dieterlen, on considère que l’être humain était au départ androgyne, il n’existait pas d’un coté l’homme et de l’autre la femme, jusqu’à ce que cet être commette un pécher. Dieu l’a donc éjecté sur terre en le séparant en deux. Ce qui signifie qu’en chaque homme il y a une part de féminité et en chaque femme une part de masculinité. Par la circoncision on enlève à l’homme sa part féminine et par l’excision la part masculine. Cela se retrouve dans de nombreuses ethnies où on considère qu’une fille non excisée n’est pas encore une fille, qu’elle n’a pas encore son identité sexuelle. Chez les bambaras on l’appelle la bilakoro c'est-à-dire personne portant des souillures. Elle est socialement limitée, on ne l’autorise pas à participer aux tâches communautaire, à se marier etc. Il y a donc des fondements métaphysiques et cosmogoniques liées à la pratique de l’excision.
Si on veut déraciner cette pratique, il faut plutôt mettre l’accent sur la cosmogonie. C’est par une métaphysique que l’on combat une métaphysique, ce n’est pas par des arguments médicaux. Malheureusement la loi votée au Sénégal met l’accent sur des considérations médicales. Il y a un travail d’éducation à faire, de sensibilisation pour faire comprendre que si nous avons embrassé les religions musulmanes et chrétiennes, nous ne devons plus continuer à pratiquer cette tradition. Parce que les religions révélées n’acceptent pas que l’on atteinte à l’intégrité physique de l’individu. Or l’excision conduit à des cas de maladie. Par exemple, la fistule obstétricale, toutes les formes d’infection, la frigidité, les rapports sexuels douloureux qui créent des frustrations, des incompréhensions etc. Ceux qui fument savent pertinemment qu’ils exposent leur santé à la maladie pourtant ils continuent, celles qui excisent connaissent les dangers de l’excision et elles continuent parce qu’elles s’attachent à des arguments surnaturels, il faut les trouver sur ce terrain là.

« L’objectif de la séduction n’est pas d’être un objet que l’on possède mais c’est d’être un sujet qui domine. Toute l’artillerie de la séduction des femmes sert à rendre l’homme dépendant».

La femme peut-elle vivre en dehors du regard de l’homme ? Peut-elle s’en détacher? Est-ce qu’une femme qui s’habille de manière dénudée fait montre d’une certaine liberté disons d'expression où est ce qu’elle est au contraire sous l’emprise indirecte de l’homme?

Je crois que c’est plutôt du mimétisme. C’est une façon d’imiter les autres, les occidentaux. En matière de mode, on a tendance à suivre ce qui se déploie ailleurs. Lorsque Marshall Mcluhan considérait que le monde comme un village planétaire, il expliquait qu’il y avait des sociétés au centre : les sociétés américaines et occidentales, les sociétés à la proche périphérie : les sociétés asiatiques et celles à la lointaine périphérie, les sociétés africaines. Avec la mondialisation, les sociétés africaines consomment les choses qui viennent de l’occident. Nous consommons occidental. C’est un complexe d’infériorité développé par rapport à l’homme blanc. Bob Marley considérait que cet esclavage là est le plus dangereux : « Emancipate yourself from mental slavery, none but ourselves can free our mind ». Le fait d’accepter que l’autre est supérieur à moi, cet esclavage mental entraine des comportements tels que la dépigmentation, une facon de ressembler au blanc. Cela dit derrière, le fait de se dénuder il y a bien sûr un besoin de se faire voir, de se faire remarquer mais ce n’est pas de la dépendance mais c’est rendre l’homme dépendant. La séduction c’est rendre l’autre dépendant. L’objectif de la séduction n’est pas d’être un objet que l’on possède mais c’est d’être un sujet qui domine. Toute l’artillerie de la séduction des femmes sert à rendre l’homme dépendant. La domination se fait à l’extérieur, une domination qui peut gêner mais dans l’intimité d’une chambre le plus souvent on ne discute plus l’autorité (rires).

Toujours en parlant d’habillement, d’apparence, les femmes sont souvent incriminées par la société dans les cas de viol. On fait souvent état de leur accoutrement au moment de l’agression comme pour justifier l’acte même du viol. Les femmes passent alors de victimes à coupables.

Oui, oui tout à fait, ce sont des considérations traditionnelles qui resurgissent. La femme a le droit d’assumer sa liberté, de sortir, de vaquer à ses besoins. Et si elle croise un homme fou qui l’agresse, la viole, elle n’est en rien coupable. C’est cet homme qui est coupable. En conséquence, il s’agit de voir ce qui se passe chez cet homme là. Est-il perturbé sur le plan psychologique ? Est-il incapable de maîtriser sa libido ? C’est cet homme qu’il faut incriminer et non la femme. Si on en arrive à incriminer la femme, c’est qu’on part de l’hypothèse qu’elle doit rester à la maison où rien ne lui serait arrivé. Les gens qui développent de telles considérations restent dans les schèmes traditionnels.

« Imiter l’autre, c’est confirmer qu’on est dominé...».

La société peut-elle atteindre un équilibre social ou est ce une utopie ? Plus précisément y a t-il intérêt à ce que les pauvres restent pauvres, les riches plus riches, à ce que les hommes restent au sommet, les femmes aux oubliettes?

Toutes les sociétés sont caractérisées par des stratifications. Maintenant, il faut simplement qu’elles soient équitables. On ne peut pas arriver à un nivellement absolu en matière de vie sociale, où tout le monde serait sur une même échelle, c’est en effet utopique. Par contre la hiérarchisation doit répondre du principe de l’équité, la domination doit reposer sur une certaine équité et non le sexe. On peut dominer par sa compétence, son intelligence. Etre au sommet ne doit pas signifier écraser l’autre mais avoir un niveau de responsabilités élevées qui font qu’on doit répondre de. La meilleure manière d’avancer c’est d’impliquer tout le monde, d’avoir une démarche participative. Il y aura toujours une différence entre riche pauvre, homme femme, mais le riche doit pouvoir justifier sa richesse de manière licite, le pauvre doit questionner sa pauvreté de sorte qu’il n’y ait pas une transmission intergénérationnelle de sa pauvreté. Ce n’est pas parce que mes parents ont été pauvres que je dois être pauvre. Il est dure d’effacer les inégalités mais une chose est sure, on va vers l’équité dans la gestion du genre et on en arrivera à un point où seule la compétence sera prise en compte

Donc l’équité, c’est envisageable, l’égalité… ?

L’égalité…si on entend par égalité la justice dans la répartition des ressources et responsabilités, point de problèmes mais quand j’insiste sur équité c’est pour éviter la négation de l’identité de la femme. Beaucoup de femmes pensent que pour s’émanciper, elles doivent nier leur identité. La femme doit être fière d’être femme.

Cela n’empêche que c’est souvent un recours lorsqu’on est mis en position d’infériorité: le dominé singe le dominant pour accéder à son monde, ou en tout cas bénéficier des mêmes privilèges que lui.

C’est justement ça la dépendance et ça c’est une erreur car autant la femme doit s’affirmer autant elle ne devrait pas avoir un complexe identitaire. Il faut s’affirmer en restant soi-même car imiter l’autre c’est confirmer qu’on est dominé. Il faut se libérer de ce complexe là.

« La loi sur la parité ne promeut pas les femmes, elle constitue une entorse aux intérêts des femmes».

Dans le Deuxième sexe, Simone de Beauvoir affirme qu’«on ne naît pas femme, on le devient ». Qu’est-ce qu’être femme selon vous ? Quelle définition le sociologue que vous êtes donnerait à la femme ?

Etre une femme c’est être un être humain avec ses potentialités, ses capacités qu’il faut faire éclore par un processus de responsabilisations personnelles et communautaires tout en respectant un certain nombre de principe. Je veux tout simplement dire qu’une femme est un être humain capable de bien comme de mal, capable d’excellence comme de médiocrité. Tout dépend de son éducation, sa préparation, sa formation. La femme n’est pas un être qu’il faut typer ou enfermer dans des canons, dans des cases.

Que vous évoque la discrimination positive? Et par extension, l’application de la parité par la loi, est-ce une nécessité ou un inconvénient?

La parité est un problème pour les femmes. Parité signifie 50 filles, 50 garçons…Si dans une société les femmes sont majoritaires démographiquement parlant, cela engendrera une iniquité pour les femmes. Pas de parité...Mais que l’on donne les postes en fonction de la compétence de l’individu. Si 100 postes sont disponibles et qu’il y a 100 femmes compétentes, qu’elles soient toutes engagées ! Pourquoi mettre 50 hommes dans ce cas ? Il faut mettre l’accent sur la notion de compétence. La loi sur la parité ne promeut pas les femmes, elle constitue une entorse aux intérêts des femmes. A mon avis les femmes gagneraient plus sans la parité.

Néanmoins nous ne pouvons que constater qu’en l’état, elles restent reléguées au second plan. La réalité est moins enjôleuse.

Le souci c’est la compétence. La parité ne se décrète pas elle se construit. Il faut que les filles soient scolarisées et qu’elles poursuivent leur scolarisation, qu’elles s’initient dans de multiples domaines. Vous l’avez dit, elles sont désormais mécaniciennes, policières etc.  Et finalement elles pourront s’imposer par leur talent. L’idée n’est pas de créer une parité de façon sèche, tout le monde doit être satisfait…pas de politique de l’autruche. Il faut accorder les places sur la base de la compétence et rester équitable. Il faut cultiver la compétence, assumer son identité et éviter les complexes, se dire qu’on est capable d’exercer de hautes responsabilités et tout faire pour accéder à ce niveau là. Mais que cela se fasse dans le respect des règles du jeu

Et quelles sont les règles du jeu et qui les déterminent?

Les règles du jeu c’est éviter de se compromettre, fuir la complaisance, l’illicéité, les relations ambiguës dans l’entreprise. C’est le code de conduite que l’on acquiert par sa seule compétence. Quand on est compétent, les portes ne peuvent rester fermer.


Propos recueillis par Dialika Sané (L'Afrikrâneuse).

Commentaires

  1. Hello Dialika je suis tombé sur votre blog par hasard en faisant des recherches sur le Pr Diakhate qui sera mon invité ce Dimanche sur Seneweb Radio. J'ai trop kiffé le style d’écriture et la pertinence des textes.. Nway je suis fan. Pourriez vous m'envoyer votre email ou me dire comment vous contacter. Big up

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  2. Bonjour Boytown! Quelle surprise! Merci beaucoup, voici mon mail: dialika.sane@yahoo.fr. ! Ps: J'écouterai votre interview radio, c'est à chaque fois enrichissant d'avoir les analyses de Djiby Diakhaté et par-ailleurs votre site http://www.boytownmag.com/ est excellent

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