Peintre,
dessinateur mais surtout militant dans l’âme, Saleh Lô ancre sa pratique dans le
registre du réalisme. L’artiste plasticien mauritanien, dont les peintures détonnent
de précision, d’émotion, de vérité et d’énergie,
s’évertue à travers ses créations à éveiller un niveau de conscience nouveau
chez le spectateur. Il dénonce l’esclavage moderne, y compris celui des enfants
talibés, prône l’ouverture d’esprit et l’acceptation de soi, partant de l’autre. Estimant sa
société altérée par un certain obscurantisme, Saleh Lô tente de mettre l’humanité en face de ses propres contradictions, dont cette propension à la déshumanisation. Et quel
formidable outil que l’art pour communiquer avec l'humain. Plutôt que de traduire les moeurs de son époque, il les interroge, plutôt que de mimer la réalité, il la réinvente. Saleh Lô donne à voir sa vision du réel. Artiste peintre autodidacte,
il produit depuis ses débuts un travail d’orfèvre, aux intentions louables et aux
contours irrésistibles. Son art est à son image: beau et engagé. Jugez plutôt.
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©Raw Material Company |
"J’établis un dialogue avec les gens dont je fais le portrait pour le que public puisse à son tour communiquer avec ces mêmes personnages figés sous la peinture, mais tellement parlants."
La peinture, Saleh Lô l’a, pour ainsi dire, dans la peau. C’est à tout juste 5 ans que ce jeune
artiste d’origine mauritanienne effectue ses premiers coups de pinceaux. Malgré
son très jeune âge, il se découvre une prédisposition pour la peinture. «Je
me souviens, c’était comme une évidence. Je m’appliquais à dessiner et peindre
avec passion malgré les moqueries de mes jeunes camarades qui estimaient que les
activités artistiques étaient réservées aux sots. Ils n’avaient de cesse de
dévaloriser ceux qui s’adonnaient, même avec brio, à cette matière, confie-t-il en
souriant, «mais cela
ne m’a pas arrêté. Bien au contraire, j’ai persévéré.» A 12 ans, le
réalisme lui apparaît comme exquis, il produit son tout premier portrait très
fidèle à la réalité. Une penchant qui est aujourd’hui représentatif de l’ensemble
de son œuvre.
En
2004, alors qu’il travaille dans un
restaurant, l’artiste en devenir se retrouve autour d’une multitude de tableaux
et d’artistes spécialisés dans l’abstrait. Ce climat artistique éveille en lui
l’envie de transformer sa passion, jusqu’ici latente, en profession. Il décide de se
lancer. Toutefois, il est très vite après ses études confronté au manque
criard de centres d’art en Mauritanie. «Nous n’avons malheureusement pas d’école de
beaux-arts. L’idée de me rendre au Sénégal afin de pouvoir m’inscrire
dans une école d’art m’a, à l'époque, traversé l’esprit. Le fait qu’on y ressente une vraie considération pour le métier d’artiste était également un facteur
motivant. » En fin de compte, c’est l’outil Internet qui va se révéler
être une formidable source d’apprentissage pour l’artiste en herbe.
Il y assimile patiemment les codes du réalisme lui permettant d’affiner son approche, de développer un
style individuel, d’asseoir une technique lui étant propre et de peaufiner son
art. «Vous savez en Mauritanie, il n’y a pratiquement que des artistes
autodidactes. On se débrouille et se soutient comme on peut… »
Appréhender le réel

Plus serein et plus accompli que les émois de ses premières toiles, Saleh Lô, avec sa peinture réaliste, se propose de représenter une réalité sociale parfois dérangeante : « Tous mes travaux portent un message. Je ne crée pas à partir du vide. Ça part d’une véritable recherche personnelle, d’un travail approfondi quasiment journalistique. Je vais sur le terrain avec appareil photo, dictaphone et carnet de notes rencontrer les sujets de mes futurs tableaux. Il est important pour moi que mon cheminement ainsi que le résultat final aient du sens. Que cela engrange un dialogue social. Pour ce faire, il est crucial de connaître l’histoire de ces âmes mouvantes qui m’inspirent, de sentir le moment, l’action. » Et l’artiste de rajouter avec détermination : « J’établis un dialogue, une communication avec les gens dont je fais le portrait pour que le public puisse, à son tour, communiquer avec ces mêmes personnages figés sous la peinture, mais tellement parlants.»
Sa technique sans commune mesure, méticuleuse et appliquée,
donne naissance à des toiles d’un réalisme frappant sans jamais tomber dans un mimétisme photographique, même s'il fait usage de la photographie dans son approche. L'artiste gagne très vite en reconnaissance jusqu’en Espagne où il expose. Sa méthodologie? Un
processus fastidieux qui requiert précision et dextérité.
En grand amoureux de l'art, le jeune homme cite spontanément des artistes comme l'autrichien Gottfried Helnwein, le sud-africain Lionel Smit ou encore l'allemand Gerhard Richter dont il admire les toiles.
L’ensemble
de ses œuvres questionne la société mauritanienne et la met en face de ses
propres dérives. Ainsi a-t-il abordé tout au long de
sa jeune quête artistique des thématiques sociales ou politiques comme le métissage, les talibés ou encore
l’esclavage.
"Je veux par le biais de l’esthétique redonner une humanité à des gens déshumanisés, reconstruire leur dignité à défaut de la leur rendre. Les personnes ayant subi l'esclavage sont émues de contempler leurs portraits, et fières de ce respect, ce témoignage, ce regard."
Et sur ce dernier point, l’artiste plasticien déplore que beaucoup en Mauritanie continuent à réfuter son existence. «C’est tellement
tabou. On entend des rumeurs là-dessus sans vraiment soupçonner ou
vouloir croire que de telles pratiques puissent réellement exister dans notre
pays. Il faut dire que les gens sont très discrets : et les « maîtres»
d’esclaves et les personnes mises en situation d’esclavage taisent leur
situation, clame t-il avec une profonde indignation. Toujours pensif, il
poursuit : « je ne voulais pas participer à ce déni. Je suis donc aller
voir l’IRA (une association politique qui a pour but de contribuer à la
libération des esclaves). Grâce à eux, j’ai pu aller à la rencontre des personnes réduites en esclavage,
réaliser des vidéos d’interview et avoir les preuves concrètes du maintien de cette pratique.
J’ai fait mes propres reportages en me rendant aux manifestations anti-esclavage, pour mieux capter et retransmettre l’énergie et la rage des
personnes luttant pour le respect des droits de chaque individu." Le jeune artiste consacre, de fait, toute une série de grands portraits aux personnes asservies et aux militants.
Visiblement
touché par cette cause, Saleh évoque avec une émotion palpable, la main posée
sur la poitrine, le vernissage de son exposition « Libre ou esclave » à l’institut français
de Nouakchott en Mars 2016. Il a tenu, ce jour là, à ce que les personnes ayant été
victimes d’esclavage, descendants d’esclaves ou libérés, soient
présentes. Et quelle présence! «Ils sont arrivés, port altier, en
tenues traditionnelles: boubou, turban, sarouel. Ils étaient plus de 200, activistes
y compris. C’était incroyable. La police était là, au vu de la sensibilité de ce sujet, pour réguler la foule. Au final, tout le monde a pu entrer voir l'exposition. Et cela m’a bouleversé
de voir autant de monde et surtout de ressentir leur fierté et reconnaissance. Voilà
comment je vois ma peinture, je veux, par le biais de l’esthétique, redonner une
humanité à des gens déshumanisés, reconstruire leur dignité à défaut de la leur
rendre. Ils étaient émus de contempler leurs portraits, et fiers de ce respect, ce témoignage, ce regard.» Silence.
Un métis, passeur de cultures
Un métis, passeur de cultures
Confortablement
installé dans son fauteuil en contre-jour de la baie vitrée qui laisse admirer les œuvres de l’atelier d’artistes de Ouakam où il accueille, Saleh, jeune homme à l’allure
élancée et athlétique avec ses locks disciplinées par un élastique, brosse lentement l'espace de ses mains d'artistes en s'exprimant d’une voix toujours posée, soutenue par un regard rêveur si ce
n’est habité par les personnages dont il narre l’histoire.
D’apparence très
calme, il n'en est pas moins extraverti. D’ailleurs, ses compères semblent tous apprécier sa personne, de même que les enfants du voisinage.
Son métissage, Saleh Lô le perçoit comme
un véritable pont entre ses différentes cultures qu’il veut rapprocher,
réconcilier, marier. En témoigne cette manière naturelle d'intégrer des mots arabes dans son discours en français pour mieux appuyer sa pensée. Le fin polyglotte qu'il est, passe d'une langue à l'autre sans sourciller: le wolof, le peulh ou encore l'anglais font partis de son répertoire linguistique. Avec sa série Métissage, il peint les portraits des personnes de
son entourage, famille ou amis, riches de diverses cultures. Car pour lui, il
faut célébrer ce brassage culturel et non nourrir le repli sur soi, cette
hostilité craintive envers l’autre, envers les métis comme cela peut parfois se
ressentir dans son environnement social.
Près de 36 millions de personnes, hommes,
femmes et enfants sont victimes d'esclavage dans le monde, principalement dans
cinq pays: l'Inde (où il existe toutes les formes d’esclavage moderne) arrive
en tête avec 14,3 millions de victimes, la Chine 3,2 millions, le Pakistan 2,1,
l'Ouzbekistan 1,2 et la Russie 1,1. Il peut s'agir
de traite d'êtres humains, d'exploitation sexuelle, de travail forcé, de
servitude pour dette ou de mariage forcé ou arrangé.
La
Mauritanie connait quant à elle une forte proportion
de personnes réduites à l’esclavage moderne (4%). Le problème y est d’autant
plus complexe que l'esclavage y est héréditaire et enraciné.
Haïti et le Qatar sont également concernés.
Saleh Lo est conscient de s’aventurer dans une zone sensible. Mais les avertissements de ses
proches soucieux ne l’ont pas freiné.
L’engagement,
un fil d’Ariane dans le parcours du jeune plasticien, qui ne conçoit son
travail autrement que sous le prisme d’un militantisme social et solidaire.
"Les talibés, on ne pose pas un regard sur eux. Dans une exposition qui leur donne un espace et du temps, les individus n’ont d’autre choix que de leur accorder un regard, une attention, une considération qu’ils méritent tous en tant qu’enfants. Il n’y a pas cette fuite ou cette gène inhérente à une rencontre fortuite dans la rue."
Libérer les enfants de la rue par la peinture
Sa première exposition individuelle, présentée en 2013 à la gallerie Zeinart de Nouakchott, met en scène des figures oubliées de la société, les talibés. Ces enfants, souvent très jeunes, disciples d’école coranique et réduits à la mendicité. Un phénomène qui touchent aussi bien la Mauritanie, que le Sénégal où encore la Guinée et le Mali. Pense-t-il pouvoir faire évoluer les mentalités à travers ses œuvres, améliorer la société ? D'une voix assurée, Saleh Lô rétorque que ses œuvres peuvent amener ceux qui fuient la rudesse de la réalité à l’affronter de manière plus édulcorée. « Les talibés, on ne pose pas un regard sur eux. C’est à peine si on les rejette d’un mouvement de la main quand ils viennent solliciter une aumône. Dans une exposition qui leur rend hommage, qui les représente et leur donne un espace et du temps, les individus n’ont d’autre choix que de leur accorder un regard, une attention, une considération qu’ils méritent tous en tant qu’enfants. Il n’y a pas cette fuite ou cette gène inhérente à une rencontre fortuite dans la rue. A mon sens, cela peut susciter une vraie prise de conscience, et apporter un changement comportemental chez les gens qui ferment les yeux face à la condition de ces enfants ou alors qui ne peuvent pas se rendre à une manifestation ou sont étrangers à ce genre de lutte. C'est l'occasion de les faire sortir de leur cercle et de mettre en contact deux mondes qui s'opposent ou s'évitent.»
Sa première exposition individuelle, présentée en 2013 à la gallerie Zeinart de Nouakchott, met en scène des figures oubliées de la société, les talibés. Ces enfants, souvent très jeunes, disciples d’école coranique et réduits à la mendicité. Un phénomène qui touchent aussi bien la Mauritanie, que le Sénégal où encore la Guinée et le Mali. Pense-t-il pouvoir faire évoluer les mentalités à travers ses œuvres, améliorer la société ? D'une voix assurée, Saleh Lô rétorque que ses œuvres peuvent amener ceux qui fuient la rudesse de la réalité à l’affronter de manière plus édulcorée. « Les talibés, on ne pose pas un regard sur eux. C’est à peine si on les rejette d’un mouvement de la main quand ils viennent solliciter une aumône. Dans une exposition qui leur rend hommage, qui les représente et leur donne un espace et du temps, les individus n’ont d’autre choix que de leur accorder un regard, une attention, une considération qu’ils méritent tous en tant qu’enfants. Il n’y a pas cette fuite ou cette gène inhérente à une rencontre fortuite dans la rue. A mon sens, cela peut susciter une vraie prise de conscience, et apporter un changement comportemental chez les gens qui ferment les yeux face à la condition de ces enfants ou alors qui ne peuvent pas se rendre à une manifestation ou sont étrangers à ce genre de lutte. C'est l'occasion de les faire sortir de leur cercle et de mettre en contact deux mondes qui s'opposent ou s'évitent.»
Engagé,
Saleh Lô l’est au-delà de son travail artistique puisqu’il reverse une partie
de ses ventes aux associations pour l’enfance et accueille depuis quelques
années dans son atelier de Nouakchott des talibés et enfants de milieux défavorisés, non scolarisés et livrés
à eux-mêmes. Il s’emploie à leur donner des cours de dessin et peinture pour leur
éviter une vie de vagabondage. Si les enfants se sont d'abord montrés réticents
et farouches, l’artiste se réjouit d’avoir pu, avec force
patience, en attirer des groupes et de constater leur assiduité. «Au départ, ils étaient 2 ou 3 et
maintenant, il y en a une douzaine, car les enfants se passent le mot et convient
leurs amis. Ils sont tous enthousiastes et respectent désormais les
horaires.»
Ayant réussi l’exploit de faire des émules, son but ultime est
de créer un centre artistique pour enfants, pour une meilleure pédagogie et l’espoir
de leur assurer un vrai avenir, loin des dangers de la rue.
Actuellement
à Dakar pour une durée de deux mois, il participe, suite à sa sélection par le Centre pour l'art, le savoir et la société, RAW Material Company, à sa toute première résidence d'artistes et planche actuellement sur le projet artistique qu’il va présenter.
Saleh Lô parvient à mettre en
forme et couleur la beauté mais aussi les paradoxes et défauts du monde qui l'entoure tout en encourageant la
réflexion sur la capacité de l’Homme à s’auto-juger et améliorer sa condition.
Sa peinture rigoureuse, réalisée avec maestria, n’en est qu’à ses débuts, déjà
très salués.
Site: http://salehlo.weebly.com/
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